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Café viennois
2 février 2013

Jerzy Ficowski

Jerzy Ficowski

Jerzy Ficowski, poète polonais catholique, aura consacré sa vie et son écriture à parler dans les marges du monde, aux exclus et marginaux du monde, et non pour simplement louanger Dieu ou la vaillante Pologne ressuscitée.
Héros de l’insurrection de Varsovie, fer de lance de la campagne des droits de l'homme contre la domination communiste, il aurait pu se draper dans cette position de conscience polonaise qui trouvait dans l’oubli de certains massacres un remède à son histoire et sa passivité alors que de l’autre côté du mur, au cœur du centre de Varsovie, s’élevait la fumée âcre de la mort. Mais s’il était catholique, il n’était point orthodoxe dans sa pensée, et ne se laissa pas ainsi momifier dans la respectabilité de héros de la résistance. Il se savait lui-même survivant et alla à la rencontre des autres survivants, et de la mémoire des morts assassinés. Ce qui le rendit suspect et marginal. Lui osa parler du ghetto de Varsovie avec les habitants polonais indifférents, des gitans rejetés et éliminés. Il dit ce que furent les camps d’extermination, nouvelles usines de la mort industrielle où tout était utilisé, récupéré sur chaque condamné.


Découvreur véritable de Bruno Schulz considéré comme le « Kafka polonais », comme Max Brod le fut pour Franz Kafka, il aura aussi parlé au nom du peuple tzigane et du peuple juif, et dans une moindre mesure de son peuple polonais sorti anéanti de la guerre et vite étouffé sous le joug soviétique.
Cette génération « fusillée », fauchée dans sa jeunesse, a été, même survivante, même rescapée des balles, vidée d’elle-même. « Chassés depuis des années loin de nous-mêmes, nous perdant nous-mêmes de vue »
Et c’est ce désarroi qu’exprime la poésie de Jerzy Ficowski. Et il a eu cette noblesse, ce courage, au milieu d’un entourage hostile, à vouloir « déchiffrer les cendres » et parler des disparus dont on ne voulait surtout pas prononcer les noms, car une culpabilité parfois, une indifférence souvent, les avaient fait disparaître une deuxième fois par effacement, et leurs biens avaient été récupérés avidement.

 


Le travail de sa vie fut de sauver et puis faire connaître toute l’œuvre retrouvée de Bruno Schulz, mais il osa aussi parler du génocide tzigane et du génocide juif, comme aucun écrivain non-juif ou gadjo (non gitan), ne sut le faire. Ces génocides se passèrent principalement en terre polonaise, au sein d’une population complice par son silence actif. Lui était un dissident dans l’âme et un rebelle. De l’autre côté du mur du ghetto de Varsovie, il se sentait complice des bourreaux par son impuissance à agir. Lui entendait les cris, voyait la fumée du ghetto mis en place en 1940 et rasé avec ses habitants en mai 1943, et il pressentait que plus tard, ce serait sa ville qui serait détruite au lance-flammes.
Il se mit donc en marge, et par exemple restitua les contes tziganes, leurs légendes, quelques-uns de leurs poèmes, car il avait appris leur langue et leurs coutumes. Il écrivit aussi des poèmes bouleversants sur les trois millions de juifs polonais partis en fumée dans les fours nazis. Il était aussi un grand traducteur de la poésie espagnole (Lorca principalement), russe (Boleslaw Lesmian), hongroise, et yiddish (Mordecaï Gebirtig surtout). Lui Ficowski, défricheur des cendres, conte les histoires dont on ne veut plus se souvenir.


je te conterai l'histoire
celle qui n'est pas écrite
qui vient rarement pour
l'exhumation des rêves j'ai pour
preuve le silence transpercé
de balles

c'est pourquoi je parle à voix basse je
conterai l'histoire

 

mais ne la répète pas

Il a publié plus de 20 recueils de poésie, dont l’un fut illustré par Marc Chagall en personne, des nouvelles regroupées dans le livre « En attendant que les chiens s’endorment ».

Comme des cailloux dans l’eau, les ondes de ses poèmes vont élargissant nos vies. Sans mots inutiles, berceuse des temps anciens pour mes disparus, ses mots nous rencontrent. Jerzy Ficowski est hanté par la douleur, du bruit des balles et de l’odeur des corps brulés, mais sa poésie se tient haut au-dessus de l’effroi, par son amour de l’humanité, sa générosité, sa passion pour la liberté. Pour lui se taire était mentir, alors il parla haut et fort contre le silence de la terre.
Tous les exilés peuvent rentrer chez eux dans le pays de ses textes. Demain ils reviendront encore en nous.


Nous nous levons, touchons notre visage
pour voir si nous existons encore
Et il n’y a aucun témoin de notre mémoire
les feuilles fidèles se taisent
et tout se fane sur elles
la fièvre peint
la ressemblance de notre inertie
. (Cours de feuilles piétinées)

 

 

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Commentaires
Café viennois
  • je te conterai l'histoire celle qui n'est pas écrite qui vient rarement pour l'exhumation des rêves j'ai pour preuve le silence transpercé de balles c'est pourquoi je parle à voix basse je conterai l'histoire mais ne la répète pas
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